Une bibliothèque. Lieu de sépulture. Du moins au sens de certaines personnes. Fervente admiratrice de littérature, elle faisait partie de cette petite population qui aimait à croire que si certains écrivains étaient morts, elle visitait leur tombe dés l'instant où elle ouvrait un de leurs ouvrages. Le sol craquait sous ses pas tandis qu'elle cherchait vainement la bibliothèque dans le couloir qu'on lui avait indiqué. Au bout de ce dernier apparut une imposante porte de bois rouge. Et elle sut. C'était ici, ça ne pouvait être qu'ici. Après une seconde d'hésitation palpable, elle posa sa main blanche sur la poignée dorée et, le plus lentement du monde, comme si elle avait peur de ce qu'il y allait avoir derrière, elle ouvrit la porte. Ses yeux s'écarquillèrent et elle eut un haut le cœur. Les fauteuils, le tapis épais, la peinture qui s'écaille, les couvertures des ouvrages en vieux cuivre, les étagères bancales, la couleur des pages, l'odeur prenante, similaire à celle du papier journal. Elle se retrouvait dans le salon dans lequel elle avait passé les moments les plus enivrants de sa vie. Du moins, tout lui en donnant l'impression. Tout, y compris les deux souffles satisfaits et consécutifs qui arrivèrent à ses oreilles. Elle connaissait ce soupir par cœur, elle l'aimait autant qu'elle le haïssait. Placid. Il était là. Un sourire narquois se dessina sur ses lèvres. Elle ôta ses chausses. Pieds nus, elle serait le plus silencieuse possible lorsque, quittant l'épais tapis, elle irait chercher son frère entre les étagères. Elle entendit alors un bruit sourd. Le maladroit. Il venait de faire tomber un livre. Elle accéléra donc le pas et le vit, il s'agenouillait pour ramasser l'ouvrage. Avant même qu'il puisse frôler la couverture, elle le faisait glisser vers elle avec son pied droit. Elle se plia en deux afin de saisir le livre qui faisait jurer Placid. Elle caressa la couverture. Dorian Gray. Ce livre. Le livre qui avait tant d'importance aux yeux qu'une homme et que, par sa faute, elle n'avait pas pu terminer.
« Ah, tu le voulais peut-être. » dit-elle d'un air faussement étonné.
Elle le fixait, implacable.
« Je ne te le donnerai pas. D'abord, par ta faute je n'ai jamais pu le terminer, mais surtout, te rappelles-tu dans quel état tu as mis l'ancien ? Et à peine en as-tu retrouver un autre qu'il te tombe des mains ! Maladroit ! »

Une seconde d'incrédulité. Le volume était là, proche de ses doigts tendus et, l'instant d'après, envolé dieu sait où. La contrariété assombrit son visage. C'est que la moindre opposition ébranle son mauvais caractère. Dès lors, il ne voit guère plus que les obstacles. Son esprit se cabre devant eux. Certains les contournent, lui, fonce la tête la première. Les blessures ne l'effraient pas. Pire, elles l'encouragent. Il est le taureau face au matador. Seule la mort l'affecterait assez pour le rendre sage. Encore qu'il trouverait le moyen de revenir, tel un fantôme hantant ses tortionnaires sans drap pour cacher leur ignominie, sans boulet pour restreindre leur fureur. Il reviendrait. Pour elle.
En attendant, c'est l'air menaçant qu'il franchit le pas qui sépare leur corps. Il fait mine de vouloir la bousculer mais se contente de frôler son épaule en passant près d'elle. Et, quand deux pierres se frottent, l'étincelle surgit et le feu menace.
« Encore des enfantillages. »
Il s'engouffre dans un rayon encore inexploré. C'est qu'en vérité, il a bien plus à cacher que sa colère. Un sentiment. Le plus craint et le plus vil de tous. Il le sent, remontant ses veines, cramant sa chair. Sa raison s'émiette au profit d'une folie au goût amer. « C'est malsain. » lui murmurent les écrivains qui l'encercle. Il en saisit un par le col : « Crime et châtiments » et l'éventre.
« Tu ne grandiras donc jamais ? »

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« Je ne comprends décidément pas pourquoi il est plus glorieux de bombarder de projectiles une ville assiégée que d'assassiner quelqu'un à coups de hache. »