L'air était encore embaumé des mets que le groupe préposé à la cuisine avait préparer pour le souper, quand il entra. Les épices chatouillent ses narines. Il se frotte les yeux. Dormir à même le sol plusieurs jours de suite lui a brisé le dos. Il se sent usé, rouillé, comme ces vieilles machines qui dorment à jamais dans les entrepôts désaffectés. Il s'étire. Ses bras font mine d'attraper le ciel puis, passent dans ses cheveux et terminent sur sa nuque endoloris. L'âge gâte les plats les plus fins.
Les odeurs réveillent son estomac. Il rumine, assujettis par ce bas instinct qui le pousse vers le réfrigérateur. Neuf, il agresse les regards à coté de toutes ces vieilleries. Il s'était imposé comme une nécessité quant un beau jour on avait comprit que les plats mijotés ne se conserveraient pas à l'air ambiante éternellement.
Il en agrippe la poignée, attire la porte vers lui. Dehors, la nuit a fait place au jour, la lune au soleil depuis plusieurs heures. A cet instant, tout le monde dort ou est introuvable. Cette liberté que la situation leur donne en saoul plus d'un. Ils titubent, ivres à déraisonner dans les couloirs. Ils se racontent des histoires de fantômes, en rient d'abord pour mieux trembler ensuite. Lui, entend leurs pas et le plancher grincer au premier étage. Le lustre tremble et déverse une partie de sa poussière sur la table dessous. Le froid pénètre la pièce et son propre corps. Et, ses pieds nus sur le carrelage glacée et glissant, n'arrangent rien.
L'animal qu'il est se saisit alors d'une cuisse de poulet. Il plante ses crocs dans la chair blanche tandis que son autre main s'empare du plat tout entier. Là, il gagne la table, savoure et pense. A tout. A rien. Son regard s'embrume, s'égare et se perd. Il suce ses doigts devenus gras et salés au contact de la peau du volatile. Peu à peu, la carcasse apparaît et sa faim se calme.

Le premier flot de paroles parvient jusqu'à ses oreilles. Il sursaute légèrement, imperceptiblement. Par instinct, il ressert son étau autour de la cuisse entre ses doigts. Ses ongles s'enfoncent dans sa chair blanche. Il tourne la tête pour connaître et reconnaître le visage de Shawn. Juliette. Ses dents grincent, il se crispe, accentue son air perpétuellement morose et revanchard. Le souvenir cuit son esprit. Le baiser remonte à ses yeux, calcine ses pensées. Nouvelle bouchée. Il se concentre sur la mastication pour éviter de penser à ses tares.
« Des étiquettes ? » Depuis le temps qu'il vivait ici, jamais il n'avait remarqué une quelconque étiquette. Pourtant, un morceau de papier se trouve bel et bien collé contre la parois du plat. Elle est à l'envers et pourtant, il déchiffre bien les cinq lettres composant le prénom du propriétaire.
« Nan. Et seul le Diable sait où je les ai laissés traîner. »
Sur ce, il saisit un nouveau morceau. Il est tenté. Tenté d'agir comme un enfant stupide en crachant sur les restes. Cependant, il tient à conserver son intégrité et sa maturité. Le démon qui l'a forgé lui en a laissé trop peu pour qu'il les gaspille.
« Prends un autre poulet dans le frigo' au lieu de me regarder bêtement comme ça, Roméo. » Il désigne du menton l'objet en question. « Prends celui de ma sœur. Je t'en voudrais pas. »
Quant à savoir si la principale intéressée lui en tiendrait rigueur... Il l'espère. Grandement. Sur sa chaise, il imagine la scène. Un rictus se penche sur ses lèvres salées.
« Prends-moi une bière au passage. »