Je me suis réveillée à l'aube, en sursautant, pour la troisième fois cette semaine. Je rêve qu'il arrive quelque chose à mon frère, alors que je suis à mille bornes de lui, beaucoup trop loin pour pouvoir y faire quelque chose. Alors je me lève, effrayée, tremblante, et je compose le numéro de la maison. Ce n'est pas lui qui va répondre, même s'il est en train de jouer avec le combiné. C'est la voix rauque de mon beau-père qui me hurle de ne pas faire ça, mais je me fiche de lui comme de ma première paire de bas résille. Je lui demande si Callum va bien, ne pas savoir me tord les entrailles, puis il braille son nom. Idiot. J'entends ma mère, encore imbibée d'alcool, marmonner qu'il est dans sa chambre, qu'il n'en est pas sorti. Elle est habituée à mes crises de paranoïa, et puis je me calme, je recommence à respirer, et sans rien demander de plus, je raccroche, me laissant tomber sur mon lit, en boule, fermant les yeux sur les images de mon frère et du petit chat. C'est mieux. Le sommeil reprend son dû et je m'assoupis le sourire aux lèvres...

Je zappe le petit déjeuner, j'ai besoin de bouger, de déplacer ma carcasse, d'aller respirer l'air frais à l'extérieur. Ça sent la mer, ici, l'air est gorgé d'humidité et sent les vacances à la mer quand j'avais une dizaine d'années, chez ma grand-mère. J'adore me replonger dans mes souvenirs, comme j'adore passer une partie de la soirée étendue sur la portion de toit près de ma fenêtre, à la maison, et d'observer les étoiles. Ça m'a valu quelques étourderies de la part de Placid, mais rien au monde ne parviendrait à me déranger, quand je suis là « Elles ne parlent pas ». Je détournais les yeux, un quart de seconde, en lui adressant un sourire « Elles en disent pourtant plus en silence que toi avec tes répliques idiotes ». Je me sens obligée d'être dure avec lui, parce qu'il n'en fait pas moins. Lui, c'est dans sa nature, moi, c'est différent.

Je ramène mes jambes contre moi, les entourant de mes bras graciles, regardant l'horizon, du haut de mon rocher. La mer remonte, reprend son du, la marée dévore le sable comme un ogre. Elle meurt de faim. Je reçois quelques gouttes d'eau, et je prends une grande respiration. Je viens ici presque tous les matins. Quand j'entends des pas derrière moi, je me doute à qui ils appartiennent. Je ne l'ai dis qu'à une personne, et la crique n'est pas si facilement accessible « Bon matin ».

si je te dis que j'étais sûr de te retrouver ici ; tu me crois ?



Certains matins commencent comme ça ; on ouvre les yeux. On ne reconnait pas sa chambre. Alors, complètement désorienté, on se demande ce qu'on fiche là, où on est. On cherche des affaires, un signe, un indice, on sort des draps, ouvre les fenêtres et soudain, on se rappelle qu'on a simplement dormi autre part. Ce sont des matins stupides, où la peur domine alors qu'elle n'a aucune raison d'être.
C'était la troisième fois en une semaine.

Jamie avait quitté sa chambre une fois prêt - il avait eu la chance d'en avoir une, mais il n'était pas sûr de vouloir y rester, étant donné la tournure que prenait les événements ces derniers matins. Il était néanmoins quelque peu perdu ; il n'avait toujours pas réussi à s'habituer à ce manoir, à ses habitants plus précisément. Dans sa tête, les membres du forum étaient là, bien présents, mais soumis à une identité différente. Il avait toujours fait la différence ; réel et irréel. A part Placid, il ne connaissait personne « In Real Life ». En clair, il avait plus l'impression d'être dans un rêve que la réalité elle-même. Et c'en devenait frustrant.

Malgré tout, il y avait certaines personnes dont il ne regrettait pas la présence, au contraire. Le fait de voir en vrai quelques uns d'entre eux lui permettait de sceller des amitiés, des relations sincères et profondes, des liens que rien au monde ne pouvait briser. Ce matin, Jamie avait mangé seul, les autres n'étaient pas encore levé. Ce matin, il était sorti et avait marché jusqu'au récif, les mains dans les poches, le menton levé vers le ciel. Il savait qu'il ne serait plus seul d'ici quelques instants. Il le savait ; on le lui avait dit.

Jamie arriva enfin au récif. L'odeur salée et acre de la mer s'éleva ; il pouvait même entendre les vagues mourant sur les bords de mer, devenues écumes. Il s'arrêta et balaya du regard les lieux ; comme il l'avait prévu, elle était là. De dos. Un sourire apparut sur le visage du jeune homme. Effectivement, même si parfois il se sentait étranger en ces lieux, il savait qu'il ne l'était pas. Pas vraiment. Il s'avança alors, sans la quitter du regard. En venant ici, il avait simplement retrouvé une sœur.

« Bon matin. »

Jamie s'installa aux côtés de Muse, s'étirant, profitant de la belle matinée qui s'offrait à eux. Il coula alors un regard vers elle et répondit enfin, amical :

« A toi aussi. Bien dormi ? »

C'était ces banalités qui peuplaient le langage. Des banalités appréciables, qui prouvaient en vérité qu'on portait de l'intérêt au bien-être de la personne. Enfin, tout dépend de son importance. Dans ce cas-là, Jamie ne disait pas ça uniquement par politesse, évidemment.

J'aime la brise maritime qui fouette contre mon visage, déplaçant mes cheveux follement, sans aucun sens, dans toutes les directions. Je souris au récif, je souris à la crique, je souris à l'horizon. C'est plus fort que moi. Ici, je me sens bien, à mille lieux de tout problème, de toute emmerde, de toute pensée susceptible de gâcher ces précieux moments que je consacre à un tête-à-tête avec ma conscience. Je pose mon menton au creux de mes genoux, les yeux rivés sur l'horizon. Mon frère se porte bien. Mon précieux petit frère que je n'échangerais pour rien au monde. Là, dans la poche arrière de mon jeans, pliée, légèrement usée pour l'avoir oublié à deux occasions dans le lavage, un portrait de lui. Il est une partie de moi, un prolongement de mon âme. C'est pour lui que je vis tout pleinement, c'est pour lui que je me gorge de connaissances et appréhende l'inconnu. Il ne me demande rien, mais ça me fait plaisir de lui offrir sur un plateau des trucs qu'il ne connaitrait pas tout seul. Parfois mon esprit dérape, déraille, se prend au jeu. À force de m'intéresser à l'incompréhensible et au mystère, j'ai été obligée de frapper un mur sur le personnage de Placid Keats. Dérangeant et dérangé. Troublant et troublé. Il m'échappe, ça me fâche, m'enrage. Malheureusement, suivant une impulsion, je l'ai suivi au bout du monde, Presque. Sans demander mon reste. Je dois vraiment être folle.

Heureusement, il dérange le cour de mes pensées. N'importe qui m'aurait agacé, mais pas lui. Ça fait du bien d'avoir une attention particulière et de me sentir en sécurité. Il n'y a que Jamie pour me faire ressentir ça. Je détourne la tête pour le voir prendre place sur le rocher, évitant soigneusement de mouiller ses pieds dans l'eau qui dévore la base de l'immense masse grise sur laquelle on est installée. Lui adressant un sourire, je l'entends répondre « A toi aussi. Bien dormi ? ». Je ferme les yeux, puis passe la main dans mes cheveux, renvoyant mes cheveux sous le capuchon de mon chandail, pour ne pas agacer le visage de Jamie avec mes mèches rebelles « Honnêtement ? Pas vraiment ». Je n'aime pas dormir, de toute façon, alors Morphée me le rend bien. Me retournant pour faire à peu près face au blond, je continue « Mais ça va mieux maintenant ». Je presse ma jambe contre la sienne, le regard brillant. Je suis contente qu'il soit là. Les moments que je passe avec lui me font parfois oublier les trucs ennuyeux avec lesquels je jongle ces derniers temps « Et toi ? Placid n'a pas été trop agaçant ? ». Je ne sais pas comment un garçon comme Jamie Bover peut s'entendre et cohabiter en paix avec un type comme mon voisin.

(j'ai augmenté l'écriture, je trouvais ça trop pitit xD)


Jamie observa attentivement la mer, devant eux. Elle était calme, les vagues n'étaient pas trop hautes. Il n'avait jamais été un excellent nageur, mais les plaisirs de l'eau, l'impression d'être libre de ses actes, il trouvait tout cela en nageant au travers des vagues. Depuis qu'ils étaient ici, il n'avait pourtant jamais cherché à s'y réfugier. Comme un défi. Il affrontait son propre esprit, affrontait ses propres peurs. Mais au final, de quoi avait-il le plus peur ? Du monde auquel il n'aspirait plus ou de la puissance d'un élément ? Jamie avait déjà faillit se noyer deux fois dans sa vie. Il en connaissait l'effroyable sensation. Il se souvenait avoir cherché à s'agripper, mais à chaque fois, la mer le reprenait, le broyait, et ses mains dans le sable ne l'aidaient guère. Ce souvenir dans lequel il se noya quelques instants fut pour lui un souvenir bien trop amer, aussi s'en échappa-t-il en tournant la tête vers Muse.

Il ressentait sans cesse l'envie de la protéger. Il ne voulait jamais qu'elle se blesse, de quelque manière. Il avait parfois même peur de la laisser seule. Il avait trop peur de la perdre, comme il avait perdu Evie. Ressaisis-toi, songea-t-il. En vérité, ils ne s'étaient jamais vu jusqu'alors. Il ne voyait pas d'où lui venait tous ces beaux sentiments. Peut-être tout simplement était-ce un attachement banal qu'il associait à celui qu'il avait eu pour Evie, ce qui expliquait qu'il la comparait sans cesse à elle... Evie...

« Honnêtement ? Pas vraiment. Mais ça va mieux maintenant. »

Jamie fronça les sourcils, l'air visiblement interrogateur. Peut-être ne devait-il pas trop insister ; de toute évidence, elle ne s'attarda pas sur le sujet, puisqu'elle enchaîna :

« Et toi ? Placid n'a pas été trop agaçant ? »

Le jeune homme se mit à sourire, quelques instants. Placid, son colocataire, était aussi un ami. C'était grâce à lui qu'il avait connu Croquemitaine - c'était un peu grâce à lui donc qu'il connaissait Muse. Mais il savait pertinemment qu'il y avait un lien étrange entre elle et lui, un lien dont il était exclu. Un lien qu'il ne comprenait pas ; jaloux ? Quelque peu, certes. Mais il ne savait pas trop quoi en penser et, considérant qu'au fond il était un peu celui de trop étant le dernier venu, il restait en retrait, faisant mine de ne rien savoir. Jamie haussa les épaules puis jeta un coup d'œil sur la ligne de l'horizon.

« Oh, ça va. Il dort encore, et puis, j'ai l'habitude... » Il eut un petit rire joyeux. Ça faisait longtemps, tiens. « Il ne devrait pas tarder, d'ailleurs. Comme les autres. »

Son sourire se noya définitivement et il fit une courte pause, pensif. Dans son esprit, beaucoup de pensées s'entremêlaient, indéfinissables. Enfin, il sortit, rompant le silence qu'il avait imposé une fraction de seconde :

« Tu te plais, ici ? Loin de ta famille, de tes amis ? Enfin. Il y en a ici aussi, mais... c'est différent, non ? »

Jamie continuait de regarder la ligne de l'horizon, un peu plus sombre. Depuis qu'il avait quitté le domicile familial, il avait toujours ressenti ce manque constant. Mais ici, c'était encore pire. Même s'il appréciait la présence d'autrui, il ne pouvait s'empêcher d'être sans cesse inquiet. Comme s'il n'allait plus jamais revenir chez lui. Pessimiste comme il était, il pouvait imaginer tout et n'importe quoi. Et puis, loin de ses repaires, loin de tout ce qu'il aimait, il se sentait bien vulnérable. Non pas que venir ici lui déplaisait, non ; il n'hésitait pas à participer aux activités proposées. Mais il voyait ça comme un camp de vacances. Et, même gamin, il n'avait jamais vraiment aimé ça.